Ce qu’il faut retenir
Les associés de sociétés semi-transparentes sont personnellement imposés pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société.
En cas de démembrement de propriété des parts d’une telle société, « l’usufruitier [personne physique] est soumis à l’impôt sur le revenu à raison de la quote-part des revenus correspondant aux droits dans les résultats de cette société que lui confère sa qualité » (CGI, art. 8).
Lorsque ce résultat est déficitaire, l’usufruitier peut déduire de ses revenus la part du déficit correspondant à ses droits.
La position du Conseil d’Etat contredit en ce point la position de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, mais également celle retenue par la doctrine administrative.
BOI-RFPI-CHAMP-30-20 § 160 ; BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20 § 150 ; BOI-BNC-SECT-80 § 490
Conséquences pratiques
La solution retenue par le Conseil d’Etat pour une SCI dont les bénéfices relèvent des revenus fonciers peut être transposée pour toutes les sociétés relevant de l’article 8 du CGI :
- les sociétés civiles, sociétés en nom collectif, entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée, sociétés en commandite simple pour les seuls commandités lorsqu’elles n’ont pas opté pour le régime des sociétés de capitaux et qu’elles n’y sont pas soumises par sanction ;
- les sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées (CGI, art. 239 bis AB) et sociétés à responsabilité limitée ayant opté pour le régime des sociétés de personnes (CGI, art. 239 bis AA).
Elle a vocation à s’appliquer lorsque les statuts ou des conventions conclues avant la clôture de l’exercice ne règlent pas le sort des déficits.
Les usufruitiers de parts d’une société ayant constaté des déficits au cours des années 2014, 2015 et 2016 peuvent former une réclamation auprès des services fiscaux (avant le 31 décembre 2017 pour les déficits constatés en 2014) pour corriger leurs déclarations (LPF, art. L.190).
Il ne semble en revanche pas possible de revenir sur les années antérieures, y compris lorsque le déficit a été effectivement constaté dans la déclaration de la société et qu’il aurait pu être imputé ultérieurement (CAA de Nancy, 23 mars 2017 n°15NC01906, Imputation d’un déficit foncier non déclaré l’année de sa constatation : attention à la prescription ! (CAA Nancy 23/03/2017)).
Pour aller plus loin
Contexte
Le démembrement des parts ou actions de sociétés présente de nombreux intérêts à la fois pour les stratégies de transmission du patrimoine et la détention de l’immobilier.
Situation pourtant courante, elle suscite encore de nombreuses questions sur le plan de ses conséquences juridiques et fiscales en raison notamment du défaut de réponse dans la loi à la diversité des problématiques que crée l’association entre démembrement et prérogatives d’associés.
Font en particulier l’objet de débats en doctrine, faute de réponse dans les textes et de prises de position explicites de la jurisprudence, les questions de la qualité d’associé de l’usufruitier, celle de son droit aux résultats exceptionnels ou encore de son obligation de contribuer aux pertes.
La problématique de la répartition de l’imposition des bénéfices et d’imputation des déficits en présence d’une société semi-transparente n’ayant pas davantage été tranchée jusqu’ici, la doctrine administrative a choisi de retenir les règles suivantes :
- « l’usufruitier est, en pratique, imposable à hauteur des bénéfices courants de l’exploitation et le nu-propriétaire à hauteur des profits exceptionnels. Celui-ci peut également prendre en compte la quote-part des déficits de la société correspondant à ses droits ».
- « Toutefois, l’usufruitier et le nu-propriétaire de droits sociaux démembrés peuvent décider d’une répartition conventionnelle des résultats sociaux opposable à l’administration fiscale à condition qu’elle ait été conclue ou insérée dans les statuts avant la clôture de l’exercice aux termes d’un acte régulièrement enregistré, ayant date certaine ».
BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20 § 100 applicable égale en matière de revenus fonciers et de bénéfices non commerciaux par renvoi.
La décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 15 mars 2016 avait confirmé l’analyse de la doctrine en matière d’imputation des déficits. Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 8 novembre 2017 retient toutefois une position différente.
Faits procédure
Des époux ont constitué, avec leurs enfants, une société civile immobilière dans laquelle ils détiennent chacun la pleine propriété de vingt parts sociales et l’usufruit de vingt autres parts dont leurs enfants possèdent la nue-propriété.
L’administration fiscale a remis en cause, pour les années 2009 et 2010, la déductibilité des sommes correspondant à la quote-part du déficit foncier provenant de la SCI, résultant des charges courantes de réparation de son immeuble, que les contribuables avaient imputée sur leurs revenus fonciers à concurrence des parts sociales dont ils détiennent uniquement l’usufruit.
Les époux se pourvoient contre l’arrêt du 15 mars 2016 de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui validait la position de l’administration.
Arrêt
Le Conseil d’Etat annule la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
Pour la Haute juridiction administrative, « il résulte de ces dispositions qu’en cas de démembrement de la propriété des parts d’une société de personnes détenant un immeuble, qui n’a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, l’usufruitier de ces parts est soumis à l’impôt sur le revenu à raison de la quote-part des revenus fonciers correspondant aux droits dans les résultats de cette société que lui confère sa qualité.
Lorsque le résultat de cette société de personnes est déficitaire, l’usufruitier peut déduire de ses revenus la part du déficit correspondant à ses droits ».
Analyse
Dans cette décision, le Conseil d’Etat, guidé par le principe de neutralité de l’impôt retient une solution plus proche de la réalité économique.
L’absence de parallélisme entre les règles d’imposition des bénéfices et d’imputation des déficits posait des difficultés pratiques lorsqu’un important déficit était généré dans la perspective de revenus futurs à « neutraliser ». En cas de démembrement, l’usufruitier pouvait se trouver pleinement taxé sur des bénéfices sociaux ultérieurs, et le nu-propriétaire dans l’incapacité d’imputer le déficit en l’absence totale de revenus de même catégorie.
Par ailleurs, bien qu’il y ait un lien entre les notions de déficit et de pertes, celui-ci n’est pas mécanique, déficit fiscal et comptable pouvant eux-mêmes être différents :
- Il se peut très bien que certaines charges déductibles du résultat comptable ne le soient pas du résultat fiscal (exemple des frais de constitution d’une SCI dont les résultats relèvent des revenus fonciers et de l’amortissement des constructions).
- ou que les règles de déductibilité de part et d’autre soient différentes (cas des dépenses d’amélioration qui sont immédiatement déductibles des revenus fonciers et sont amorties comptablement si une comptabilité commerciale a été choisie par les associés).
La solution retenue par le Conseil d’Etat peut néanmoins s’avérer pénalisante en présence de véritables pertes pour lesquelles le nu-propriétaire peut être tenu de contribuer en sa qualité d’associé (qualité qui ne semble a priori pas reconnue à l’usufruitier) :
- directement (obligation au passif social et/ou clause des statuts imposant de combler les pertes)
- ou indirectement (en raison des obligations légales prévues pour les SARL, EURL, SAS, SAS, SCA lorsque les pertes atteignent la moitié du capital). Les associés peuvent en effet être contraints de procéder à des opérations sur le capital social et en particulier à procéder à une augmentation de capital par incorporation des réserves ou à abandonner leurs créances.
Le nu-propriétaire aura alors à s’appauvrir seul, sans aucune contrepartie fiscale immédiate. Il devrait tout de même pouvoir majorer le prix de revient de la nue-propriété en cas de cession ultérieure (CE, 16 février 2000 SA Ets QUEMENER n° 133296).
Le Conseil d’Etat ne précise pas s’il faut distinguer selon l’origine du déficit (charges courantes ou charges exceptionnelles). Doit-on comprendre que l’imputation du déficit revient en toutes hypothèses à l’usufruitier ? Ce serait, dans ce cas, un désaveu de la répartition des résultats courant et exceptionnel retenue par l’administration fiscale.
En effet, si une dissociation doit être faite pour l’imposition des résultats, il convient symétriquement de l’employer pour la répartition du déficit. La solution aboutirait alors à calculer deux fois le résultat de la société qui pourrait alors se retrouver positif pour les produits et des charges courants, et négatif pour les produits et les charges exceptionnels (ou inversement). Cette solution, qui n’est pas des plus simples, paraîtrait en tous les cas cohérente.
A l’inverse, si tous les déficits peuvent être imputés par l’usufruitier, il faut alors considérer que celui-ci est imposable sur l’ensemble des résultats en raison de sa vocation aux distributions, quelle qu’en soit l’origine (solution contraire à ce que retient l’administration : BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20 § 140).
Les conclusions du Rapporteur public semblent aller dans le sens de la première des hypothèses.
Les précisions sur ces questions dans les statuts seront en toutes hypothèses les bienvenues dans le respect de la substance des droits respectifs des parties.
Source : Fidroit