Ce qu’il faut retenir
L’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt est constitutif d’un acte anormal de gestion.
L’administration peut notamment remettre en cause l’imposition d’une cession de titres dont le prix est insuffisant. La différence entre la valeur vénale et le prix est alors réintégré dans le résultat imposable de l’entreprise ou de la société (relevant de l’IS ou des BIC).
Conséquences pratiques
L’arrêt est favorable à l’administration fiscale, puisqu’il établit un principe de présomption d’anormalité en cas de minoration du prix lors de la cession d’un actif.
Pour renverser cette présomption, le contribuable doit être en mesure :
- Soit d’apporter des éléments permettant de remettre en cause l’évaluation du bien retenue par l’administration ;
- Soit de justifier que la cession à un prix inférieur à la valeur vénale a été décidée dans l’intérêt de l’entreprise, par nécessité ou en raison d’une contrepartie indirecte.
Lorsque l’acte anormal de gestion est caractérisé, la différence entre la valeur vénale et le prix de l’actif cédé est imposée au taux normal d’IS, ou au barème progressif si l’entreprise relève des BIC. Le cas échéant, le régime du long terme ne pourra pas s’appliquer (régime des titres de participation par exemple). La sanction est donc particulièrement lourde.
Pour aller plus loin
Contexte
Les actes passés par les contribuables sont opposables à l’administration fiscale sur le fondement de la liberté de gestion. Si l’administration fiscale ne peut en contrôler l’opportunité, elle peut vérifier si la décision est conforme à une forme d’ordre public fiscal découlant de la loi ou de la jurisprudence.
Elle peut en ce sens considérer comme ne lui étant pas opposables :
- Les opérations abusives (théorie de l’abus de droit, LPF, art. L.64)
- Les décisions de gestion qui ne procèdent pas d’une gestion normale (théorie jurisprudentielle de l’acte anormal de gestion).
La théorie de l’acte anormal de gestion
La théorie de l’acte anormal de gestion constitue une exception au principe de déductibilité des frais généraux posé par l’article 39, 1° du Code général des impôts.
En effet, en matière de bénéfices industriels et commerciaux (et donc par renvoi pour l’impôt sur les sociétés), une charge est considérée comme déductible fiscalement si elle constitue une diminution de l’actif net, si elle est régulièrement comptabilisée et si elle n’est pas interdite de déduction par un texte spécial (exemple : aides à caractère autre que commercial, CGI, art. 39, 13).
Par ailleurs, selon le Conseil d’Etat : « en vertu de l’article 38 du Code général des impôts, le bénéfice imposable […] est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles, qui en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale« .
Une opération ne procède d’une gestion commerciale normale que si l’entreprise a agi dans son propre intérêt, c’est-à-dire dans l’intérêt de son exploitation. A contrario, est considéré comme anormal, tout acte diminuant le montant de l’impôt sans être assorti d’une contrepartie suffisante.
L’acte anormal de gestion peut prendre deux formes :
- Il peut se traduire par une charge injustifiée dans son principe ou dans son montant ;
- Il peut encore s’agir d’un manque à gagner, dans l’hypothèse où une entreprise renonce sans contrepartie ou sans motif à un profit.
Lorsque il est caractérisé, l’acte anormal de gestion est inopposable à l’administration qui pourra alors l’écarter pour la détermination du résultat imposable de l’entreprise. La charge déduite à tort ou le manque à gagner fera alors l’objet d’une réintégration extra-comptable.
Bien que la charge de la preuve soit supportée par l’administration (comme le veut la règle en matière fiscale), celle-ci doit simplement établir que l’acte réalisé par le contribuable ne comporte pas de contrepartie directe. Il revient ensuite au contribuable de prouver l’existence d’une contrepartie indirecte. Or cette preuve n’est pas toujours aisée…
Illustrations
Peuvent notamment constituer, selon les circonstances, des actes anormaux de gestion :
- La cession d’un élément de l’actif immobilisé à un prix inférieur à sa valeur vénale ;
- La renonciation à percevoir des intérêts sur une créance (CE 12 février 1992 n° 68685) ;
- La rémunération excessive d’un dirigeant, voir l’attribution d’indemnités transactionnelles de licenciement disproportionnées (CAA Douai, 9 mai 2017 n°16DA01344) ;
- L’administration est fondée à remettre en cause la déductibilité des intérêts sur le fondement de l’acte anormal de gestion en cas de réduction de capital financée par emprunt CAA Bordeaux, du 5 juill. 2016 n°16BX00662.
En revanche, si le Conseil d’Etat jugeait autrefois qu’une prise de risque excessive pouvait constituer un acte anormal de gestion, cette position a été définitivement abandonnée depuis une décision du 13 juillet 2016 n°375801.
Sanction de l’acte anormal de gestion
La qualification d’un acte en acte anormal de gestion a des conséquences redoutables pour l’entreprise, auteure de l’acte, et pour le bénéficiaire.
Pour l’entreprise, le résultat imposable est rehaussé du montant des charges indûment déduites ou du montant du manque à gagner. L’administration va réintégrer et ainsi taxer les charges anormalement déduites et les profits auxquels l’entreprise a renoncé de façon anormale. Le tout est majoré de l’intérêt de retard et le cas échéant d’une pénalité pour manquement délibéré.
Remarque :
Le Conseil d’Etat a indiqué que les minorations du prix de cession d’un élément de l’actif, lorsqu’elles ne relèvent pas d’une gestion normale, constituent des libéralités qui ne peuvent être imposées selon les régimes particuliers applicables aux plus-values professionnelles. Celles-ci sont taxées au taux normal de l’impôt sur les sociétés.
En ce qui concerne le bénéficiaire de l’acte, il est imposé sur le montant dont il a été gratifié.
Lorsque le bénéficiaire est une entreprise ou société relevant de l’IS ou des BIC, l’avantage constitue un profit imposable, réintégré au résultat fiscal.
Si l’auteur de l’acte est une société soumise à l’impôt sur les sociétés, le bénéficiaire personne physique est réputé avoir perçu un bénéfice distribué. Celui-ci est taxable selon le régime des distributions irrégulières (CGI, art.109-1, 1° et art. 111, c), c’est-à-dire dans la catégorie de revenus de capitaux mobiliers. L’assiette est majorée de 25 % et, en cas d’option pour le barème progressif, l’abattement de 40 % n’est pas applicable.
Lorsque l’auteur est une entreprise individuelle ou une société non soumise à l’IS, le bénéficiaire personne physique sera taxé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
Charge de la preuve
En principe, il revient à l’administration fiscale de prouver le caractère anormal d’un acte ou d’une opération, en démontrant que celui-ci n’a pas de contrepartie suffisante pour l’exploitation (CE, 27 juil. 1984).
En revanche, lorsque une dépense ne comporte aucune contrepartie directe, l’acte est alors présumé anormal et c’est au contribuable que revient la charge de la preuve. Pour renverser la présomption, le contribuable doit démontrer qu’il existe une contrepartie indirecte.
Dans certaines situations l’appréciation est plus délicate pour déterminer la contrepartie directe ou indirecte, et ainsi inverser la charge de la preuve.
Faits et procédure
A la suite d’une procédure de vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause la cession par la société C de ses titres dans la société F, au motif que prix de cession était insuffisant.
L’administration a réintégré dans le résultat de l’entreprise la différence entre le prix de cession des actions et la valeur vénale qu’elle a déterminée.
La société demande au Tribunal administratif de Montreuil de la décharger des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie. Le Tribunal fait partiellement droit aux demandes de la société.
En appel, la Cour administrative d’appel de Versailles, confirme la qualification de l’acte anormal de gestion et ainsi la réintégration dans le résultat de l’entreprise du manque à gagner résultant de la cession.
La société C se pourvoit devant le Conseil d’Etat.
Arrêt
La Conseil d’Etat confirme la qualification d’acte anormal de gestion lorsqu’une société cède un actif à un prix significativement inférieur à la valeur vénale : « Constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt« .
Elle juge que ; « s’agissant de la cession d’un élément d’actif immobilisé, lorsque l’administration, qui n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu’elle a retenue et que le contribuable n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l’acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie ».
Toutefois, elle annule l’arrêt rendu par la CAA de Versailles au motif que celle-ci a commis une erreur de droit en jugeant : « pour confirmer ainsi l’évaluation de l’administration, qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de l’illiquidité des titres cédés au seul motif que » la cession a porté sur la totalité des titres de la société Croë France dont l’unique actif est, avec le terrain qui lui est associé, le château de la Croë, qu’elle gère sans l’exploiter ».
Analyse
Cet arrêt du Conseil d’Etat apporte un nouvel élément dans la qualification de l’acte anormal de gestion et pose également le principe de présomption d’anormalité en présence d’un prix de cession d’éléments d’actif significativement inférieur à la valeur vénale.
La notion d’appauvrissement n’est pas nouvelle en matière d’acte anormal de gestion puisqu’elle constitue l’un des fondements de l’acte anormal de gestion caractérisé par un manque à gagner pour l’entreprise. Le manque à gagner joue aussi pour l’administration, puisqu’il impacte directement le bénéfice de la société et par conséquent l’assiette imposable.
En ce qui concerne la présomption d’anormalité, le contribuable pourra toujours démontrer une contrepartie indirecte pour l’écarter, mais le basculement de la charge de la preuve du côté du contribuable reste préjudiciable.
Sur la différence de prix significative, il convient de rappeler que dans l’arrêt ici commenté, le prix de cession avait été fixé à 6 000 000 €, contre une évaluation à environ 40 000 000 € pour l’administration. Il n’y a aucun doute quant à la différence de prix significative. Mais des problématiques pourraient survenir en ce qui concerne cette notion de prix significativement inférieur voire supérieur à la valeur vénale du bien.