Ce qu’il faut retenir
Le bénéfice du régime d’exonération des droits d’enregistrement institué par l’article 1115 du CGI suppose une conservation du caractère immobilier du bien concerné entre son acquisition et sa revente.
Si une société immobilière cède son unique actif immobilier, elle perd sa qualification et ne peut pas, à ce titre, bénéficier du régime de l’exonération des droits d’enregistrement.
L’administration fiscale n’est pas tenue d’attendre le délai de cinq ans pour procéder à un redressement des droits d’enregistrement dès lors qu’elle rapporte la preuve de faits justifiant la déchéance.
Cette position de la Cour d’appel de Paris confirme, plus sévèrement, la position de l’administration fiscale sur l’une des causes de déchéance du régime spécial des achats destinés à la revente.
Conséquences pratiques
La conséquence directe de la disparition de la nature immobilière de ces parts est la déchéance du régime dérogatoire, cela indépendamment du délai restant éventuellement à courir pour procéder à la revente desdites parts.
L’acquéreur est donc redevable des droits d’enregistrement dont il a été exonéré, liquidés d’après les tarifs en vigueur au jour de l’acquisition du bien en cause.
Ces droits sont majorés d’un intérêt de retard et doivent être acquittés dans le mois qui suit la rupture de l’engagement.
Pour aller plus loin
Contexte
L’article 1115 du CGI prévoit un régime de faveur au profit des marchands de bien en les exonérant des droits de mutation lors de l’acquisition d’immeubles, de fonds de commerce ainsi que de parts ou actions de sociétés immobilières. Ces droits étant a minima de 5,09 % pour les immeubles et de 5 % pour les fonds de commerce.
Sont exclues de l’exonération, les acquisitions d’immeubles supportant le droit d’enregistrement au taux réduit de 0,715 %, c’est-à-dire celles qui portent soit sur un terrain à bâtir, soit sur un immeuble achevé depuis cinq ans au plus dont la cession est soumise à la TVA sur le prix total.
Conditions
Le bénéfice de ce régime de faveur est subordonné à la condition :
- que les acquéreurs se soient conformés aux obligations particulières liées à leur statut de marchand de biens.
- qu’ils prennent dans l’acte d’acquisition l’engagement de revendre dans un délai de cinq ans. En cas de mutations successives entre marchands de biens, le délai imparti au premier s’impose à chacun des autres (l’immeuble doit donc être revendu à un non-marchand de biens à l’expiration de ce délai, quel que soit le nombre de mutations entre marchands de biens).
L’administration fiscale a ajouté un autre cas de déchéance en précisant qu’un bien qualifié d’immeuble lors de son acquisition sous ce régime de faveur doit, pour continuer de bénéficier de l’exonération, avoir conservé sa nature immobilière « lors de sa revente avant l’expiration du délai légal » de cinq ans.
Notion de prépondérance immobilière
A défaut de définition du caractère immobilier dans les textes, il parait opportun de se référer à la définition du caractère de prépondérance immobilière au sens des droits d’enregistrement.
Une société est à prépondérance immobilière lorsque l’actif brut est constitué, au cours de l’année précédant la cession, pour plus de la moitié d’immeubles ou de droits immobiliers situés en France ou de participations dans des personnes morales françaises ou étrangères elles-mêmes à prépondérance immobilière.
L’appréciation de ces 50 % se fait en tenant compte du rapport entre :
- au numérateur la valeur des immeubles et droits réels immobiliers situés en France quelle que soit leur utilisation ainsi que la valeur des participations détenues dans des sociétés à prépondérance immobilière ;
- au dénominateur la valeur brute réelle de la totalité des éléments d’actif.
La jurisprudence avait déjà pu juger, dans une espèce similaire, que la perte du caractère immobilier ne pouvait être compensée par une acquisition ultérieure peu importe que celle-ci soit intervenue dans le délai légal de revente.
De la même manière, lorsque l’engagement de revente porte sur l’intégralité des parts d’une SCI et que la société marchand de biens procède à la dissolution sans liquidation de la SCI, l’engagement pris par la société ne pouvait plus être tenu puisque les parts n’existaient plus du fait de la transmission universelle de son patrimoine au profit de la société de marchand de biens.
Faits et procédure
La société HV, exerçant une activité de marchands de bien, a acquis le 7 juin 2011 la totalité des titres de la société OP, société à prépondérance immobilière.
Elle s’est placée sous le régime spécial des achats destinés à la revente pour bénéficier de l’exonération des droits d’enregistrement et s’est engagée à revendre les parts sociales dans le délai de 5 ans.
Le 29 septembre 2011 la société OP cédait son patrimoine immobilier, constitué d’un seul immeuble.
Le 16 décembre 2013, l’administration fiscale notifie à la société HV un redressement des droits d’enregistrement pour déchéance du régime dérogatoire prévu à l’article 1115 du CGI.
La société HV assigne l’administration fiscale et conteste l’exclusion de ce régime.
Par un jugement du 27 juin 2017, les juges de première instance rejettent sa demande aux motifs que la société OP avait perdu sa qualité de société à prépondérance immobilière.
La société HV interjette appel de la décision. La discussion porte à la fois sur la notion de perte du caractère immobilier du bien et sur le moment auquel doit s’apprécier la nature immobilière de celui-ci au regard du délai de revente.
Arrêt
La Cour d’appel de Paris confirme le jugement et retient que « la déchéance du bénéfice du régime institué par l’article 1115, est encourue lorsqu’un bien qualifié d’immeuble, n’a pas conservé sa nature immobilière lors de la revente, avant l’expiration du délai légal de 5 ans. Le bénéfice de l’exonération suppose donc une conservation du caractère immobilier du bien concerné entre son acquisition et sa revente (…)
En cédant le seul bien immobilier de son patrimoine, le 29 septembre 2011, la société OP a fait perdre la nature immobilière des parts sociales. Corrélativement la société HV ne pouvait plus prétendre, depuis cette date, au bénéfice du régime de faveur des marchands de biens ».
Analyse
C’est la deuxième fois que la condition de conservation du caractère immobilier du bien entre l’acquisition et sa revente est retenue par les juges d’appel.
La portée de cette jurisprudence est à notre avis incertaine. Bien qu’elle soit dans la continuité de la position retenue par le BOFiP, elle se révèle être plus sévère en exigeant la continuité du caractère immobilier de la société de l’acquisition à la revente des parts. En effet, les commentaires administratifs ne font référence qu’à une conservation de la qualification « lors de la revente ».
En tout état de cause, la jurisprudence a ajouté une nouvelle cause de déchéance du régime de faveur en plus de celui du non-respect du délai de revente.
Ainsi, il convient d’être vigilant et d’attendre une éventuelle décision de la Cour de cassation sur ce thème.
Dans l’intervalle, la prudence recommande d’inviter les marchands de bien à se conformer aux exigences de la jurisprudence et de conserver la nature immobilière du bien de l’acquisition à la revente.
Source: Fidroit