La déclaration d’insaisissabilité protège de l’action en partage des créanciers, mais pas des co-indivisaires.
Ce qu’il faut retenir
La déclaration d’insaisissabilité ne fait pas obstacle à la demande en partage formée par un co-indivisaire (même en cours de procédure collective).
A cette occasion, le juge pourra ordonner d’office la licitation des biens si elle est nécessaire pour parvenir au partage.
Conséquences pratiques
Cette décision met en lumière le fait que l’insaisissabilité de la résidence principale (sur déclaration, ou de plein droit depuis 2015) offre une protection essentielle pour l’entrepreneur individuel concerné par une procédure collective, mais qui peut aussi se révéler relative dans certains cas.
En présence d’une déclaration d’insaisissabilité opposable au liquidateur ou d’une insaisissabilité de plein droit, les droits indivis n’entrent pas dans la procédure collective et celui-ci ne peut pas agir en partage ou licitation du bien indivis (cette possibilité lui est ouverte en l’absence de déclaration). Toutefois, le co-indivisaire peut toujours demander le partage et l’issue peut avoir des conséquences importantes sur le gage des créanciers :
- Si le partage est soldé par l’attribution du bien insaisissable à l’entrepreneur, alors la protection sur le bien est maintenue.
- A l’inverse, si le partage est réalisé par une licitation :
- S’il s’agit de la résidence principale, le prix demeure
insaisissable à la condition que les sommes soient réinvesties dans
l’acquisition de sa résidence principale. A défaut, la somme n’est plus
insaisissable.
C. com art. L. 526-3 - S’il s’agit d’un autre bien insaisissable (ayant fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité), à défaut de précision légale, le prix obtenu est saisissable.
- S’il s’agit de la résidence principale, le prix demeure
insaisissable à la condition que les sommes soient réinvesties dans
l’acquisition de sa résidence principale. A défaut, la somme n’est plus
insaisissable.
Dès lors que les sommes sont saisissables, le liquidateur pourra agir pour les récupérer afin de désintéresser les créanciers.
Pour aller plus loin
Contexte
Insaisissabilité des biens de l’entrepreneur individuel
Le législateur a renforcé progressivement la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.
L’insaisissabilité portait initialement sur la seule résidence principale. Une déclaration spécifique était nécessaire et elle était opposable aux créanciers professionnels postérieurs.
Elle a ensuite été étendue à l’ensemble des biens fonciers bâtis et non-bâtis non affectés à un usage professionnel ayant fait l’objet d’une déclaration. Désormais :
- la résidence principale bénéficie d’une protection légale de droit,
L’insaisissabilité est alors opposable aux créanciers professionnels dont les droits sont nés depuis le 8 août 2015. - les biens fonciers bâtis et non-bâtis non affectés à un usage professionnel peuvent faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité.
Opposabilité d’une déclaration d’insaisissabilité lors d’une procédure collective
La question de l’opposabilité de l’insaisissabilité d’un bien au liquidateur se pose dans la mesure où elle est inopposable à certains créanciers.
En effet, en raison de l’arrêt des poursuites individuelles, le liquidateur représente tous les créanciers. La doctrine, confirmée ensuite par la jurisprudence, indique que le liquidateur agit dans l’intérêt collectif des créanciers, qui n’est pas la somme des intérêts personnels. À défaut de dispositions légales, la Cour de cassation a affirmé, depuis plusieurs années, l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité publiée avant l’ouverture de la procédure collective :
- Cass com 28 juin 2011, Cass com 18 juin 2013 : opposabilité en dépit de la règle du dessaisissement de l’article L641-9 du Code de commerce
- Cass com 24 mars 2015, Cass com 5 mai 2015: la déclaration reste opposable alors même que l’on compte parmi les créanciers représentés par le liquidateur des créanciers auxquels la déclaration est inopposable.
Remarque :
Le liquidateur, ayant qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, peut contester la régularité d’une déclaration d’insaisissabilité.
Si l’irrégularité est admise, le liquidateur pourra faire vendre le bien et partager le prix de vente entre l’ensemble des créanciers (professionnels ou non, antérieurs ou postérieurs à la déclaration notariée). En présence d’une insaisissabilité opposable au liquidateur, les biens n’entrent pas dans le champ de la procédure collective. Il en ressort que le liquidateur ne peut pas demander le partage des biens indivis en représentation du débiteur.
Cette solution avait déjà été affirmée par la Cour de cassation.
Faits et procédure
Au cours d’une procédure en partage d’indivision post-communautaire, concernant des époux dont l’un d’eux se trouvait en procédure de liquidation judiciaire, le juge a ordonné la vente sur licitation de l’immeuble suite à la demande du liquidateur judicaire.
Madame s’est opposée à cette licitation et fait appel de cette décision.
Le bien concerné était affecté à la résidence principale du couple et
avait fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité. Par suite, le
liquidateur n’avait pas qualité pour agir, les droits indivis n’étant
pas appréhendés par la procédure.
La cour d’appel confirmant le premier jugement, Madame s’est pourvue en cassation.
Arrêt
La
cour de Cassation confirme que le liquidateur n’a pas la qualité de
représentant de Madame concernant les biens ayant fait l’objet d’une
déclaration d’insaisissabilité, lequel ne rentre pas dans le gage commun
des créanciers.
Toutefois, le juge saisi d’une demande en partage par Monsieur,
indivisaire, pouvait ordonner la liquidation du bien pour y parvenir,
sans avoir besoin d’une demande du liquidateur.
La licitation du bien est donc confirmée.
Analyse
Cet arrêt illustre l’articulation entre les règles des procédures collectives et les règles régissant l‘indivision. En cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’un débiteur indivis, il y a lieu de distinguer selon que le créancier est un créancier personnel de l’indivisaire ou un créancier de l’indivision puisque ceux-ci n’ont pas les mêmes droits.
Créancier personnel d’un indivisaire Les créanciers de l’indivisaire ne peuvent en aucun cas saisir les biens indivis. Ils peuvent seulement demander le partage ou la licitation en lieu et place du débiteur.
Cette mesure comporte toutefois des tempéraments, le créancier pourra poursuivre la saisie du bien :
- si l’ensemble des indivisaires sont tenus solidairement auprès du même créancier.
- si le créancier d’un des indivisaires bénéficie d’une hypothèque consentie par tous les indivisaires
En cas de procédure collective de l’indivisaire, le liquidateur représente les créanciers : la quote-part indivise n’entre pas dans le champ de la procédure mais le liquidateur peut agir en partage ou licitation du bien, sauf si ce bien a fait l’objet d’une insaisissabilité (de plein droit ou suite à déclaration).
Créancier de l’indivision Les créanciers de l’indivision sont ceux :
- qui auraient pu agir sur le bien indivis avant la survenance de l’indivision,
- ou dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis.
Les créanciers de l’indivision sont prioritaires sur l’indivision par
rapport aux créanciers personnels d’un indivisaire. Ils ont, de ce
fait, un droit de gage général sur la masse indivise, ce qui leur évite
de se retrouver en concours avec les créanciers personnels des
indivisaires.
En matière de procédure collective, il faut distinguer selon que l’indivision existait avant l’ouverture de la procédure ou non.
Indivision existant avant l’ouverture de la procédure collective :
Lorsqu’un indivisaire fait l’objet d’une procédure collective, les créanciers de l’indivision ne sont pas concernés par l’arrêt des poursuites individuelles.
Ils ne sont pas concernés par la procédure car ils disposent d’une créance sur des biens non inclus dans celle-ci (les quotes-parts indivises n’entrent pas dans le champ des procédures collectives). Ils peuvent donc se faire payer avant partage, et en dehors de la procédure.
Indivision ouverte en cours de procédure collective :
Au jour de l’ouverture de la procédure collective, le bien n’était pas indivis, le bien entre donc dans le champ de la procédure.
Lorsque l’indivision apparaît (notamment en cas de décès ou de divorce du débiteur) le bien étant déjà inclus dans la procédure collective, l’indivision est sans conséquence. La procédure collective a précédée l’indivision, c’est donc ces règles qui s’appliquent. Dès lors, le liquidateur peut poursuivre la vente forcée d’un bien dépendant d’une indivision post-successorale, de même qu’il peut poursuivre la vente forcée d’un bien en indivision post-communautaire dès lors qu’il aurait pu agir avant la survenance de l’indivision (et en l’absence d’insaisissabilité du bien).
Source: Fidroit