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Requalification (potentielle) d’un contrat d’assurance-vie en donation rapportable à la succession (Cass. civ. 28/02/2018 – CA Aix-en-Provence 18/04/2018)

03.09.2018 08:56 | Accueil, Actualités, Fidroit, Financier, Juridique, Patrimoine, Transmission

C’est aux juges de rechercher la volonté du souscripteur.

Ce qu’il faut retenir

Lorsque des héritiers considèrent qu’un contrat d’assurance-vie constitue une donation en raison de circonstances particulières,  il appartient aux juges du fonds de rechercher si la volonté du souscripteur était bien de se dépouiller irrévocablement.

Dans le premier cas d’espèce, plusieurs contrats d’assurance-vie  ont été souscrits en fin de vie par un assuré âgé de 93 ans et de santé déclinante. Les cohéritiers ont demandé le rapport des contrats à la succession. Pour eux, les souscriptions tardives et le contexte traduisaient une intention libérale de la part de l’assuré… les juges du fonds n’ont pas répondu à cet argument.

Dans le second cas d’espèce, le souscripteur avait renvoyé la désignation du bénéficiaire de son contrat à son testament. Cela a suffit à intégrer dans la succession les capitaux décès.

Cass. civ. 1, 28 fév. 2018, n°17-13269

CA Aix-en-provence, 18 avril 2018, n°16/05537

Conséquences pratiques

Cet arrêt traite de la requalification (éventuelle) de contrats d’assurance-vie en libéralité et de leur rapport à la succession.

Il convient de souligner que cet arrêt a une portée procédurale. Les héritiers avaient demandé la requalification du contrat d’assurance-vie en libéralité  (et ainsi le rapport à la succession) au motif que le souscripteur avait révélé une volonté de se dépouiller irrévocablement. La Cour d’appel a jugé le contraire, mais la Cour de cassation casse l’arrêt car elle n’a pas répondu aux requérants sur les circonstances de la souscription.

Mais notons que la Cour d’appel a bien rappelé que ces contrats ne sont pas soumis aux règles du rapport à succession par application de l’article L. 132-13 du Code des assurances, sauf à démontrer que les primes versées étaient disproportionnées au regard des facultés du souscripteur. Et, il n’y avait pas d’exagération eu égard à l’importance du patrimoine du défunt

Pour argumenter la requalification en donation, , les requérants ont notamment avancé :

  • l’âge du souscripteur,  93 ans au moment de la souscription ;
  • le fait que la souscription ait eu lieu dans les derniers mois de sa vie ;
  • sa santé déclinante.

L’arrêt récent de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 18 avril 2018, prévoit lui l’intégration d’un contrat d’assurance-vie dans l’actif de la succession dès lors que le souscripteur s’est prévalu de la désignation du bénéficiaire par voie testamentaire et non au sein du contrat. Cette désignation révèle l’intention manifeste du souscripteur de faire le lien entre le capital de l’assurance-vie et la succession.

Ainsi, selon la Cour d’appel, la désignation d’un bénéficiaire d’une assurance vie par testament permet de faire rentrer le capital dans la succession, l’assurance-vie devant alors être requalifiée en legs.

Cette décision est assez surprenante car elle fait le lien entre la forme de la désignation et l’intégration des capitaux dans la succession. C’est une lecture « originale » des textes.

Pour aller plus loin

Contexte

La requalification d’un contrat d’assurance-vie est possible lorsqu’il est établi que les primes sont manifestement exagérées, eu égard au patrimoine de l’assuré.

Lorsqu’elles sont qualifiées de manifestement exagérées, les primes versées sont réintégrées dans la succession et soumises à la fiscalité successorale et aux règles civiles en cas d’atteinte à la réserve des héritiers (rapport et réduction).Sur l’arrêt de la Cour de cassation du 28 fèv. 2018

Monsieur X décède et laisse, pour lui succéder, ses deux filles. Ce dernier leur avait consenti une donation-partage  portant sur des biens immobiliers. Suite au partage amiable de la succession, l’une des deux sœurs, Madame A, également désignée légataire universelle, assigne sa sœur, Madame B, au paiement de certaines sommes.

Madame, B décède en cours d’instance. Ses ayants-droits, les consorts C, forment des demandes reconventionnelles et demandent le rapport dans la succession des sommes perçues par Madame A, au titre d’un contrat d’assurance-vie souscrit par son père, dont elle était désignée bénéficiaire.
En arguant que leur grand-père avait manifesté sa volonté de se dépouiller irrévocablement, les ayants droit de Madame B, demandent le rapport à la succession des contrats d’assurance-vie.

La Cour d’appel d’Agen rejette leur demande, et ne répond pas à leurs conclusions. Cette dernière s’attache à rappeler que les contrats d’assurance sur la vie ne sont pas soumis aux règles du rapport à succession, et auquel cas, il n’est pas démontré que les primes versées sont manifestement exagérées, eu égard du patrimoine du défunt (C. ass. L132-12 et L132-13).

Les consorts C se pourvoient en cassation.

La Cour de cassation casse partiellement et annule la décision de la Cour d’appel d’Agen. Mais seulement en ce qui concerne la demande de rapport à la succession des contrats d’assurance-vie, et renvoie devant la Cour d’appel d’Agen sur ce point.

Sur l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence

Monsieur A a souscrit un contrat d’assurance-vie. Au sein du certificat d’adhésion, il a été stipulé que le capital serait versé « selon dispositions testamentaires chez Maître X…et à défaut les héritiers de l’assuré ».  Ainsi, Monsieur A a désigné, au sein de son testament, Madame B.

Les petits-enfants de Monsieur A, les consorts D, demandent la requalification en legs du contrat d’assurance-vie dont a bénéficié Madame B.

Le tribunal de grande instance de Toulon a débouté les consorts D de leur demande de requalification en legs du contrat d’assurance-vie. Selon le TGI de Toulon, la désignation par voie testamentaire ne démontre pas la volonté du souscripteur d’inclure le contrat dans la masse successorale. Ils font appel de la décision.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence accueille la demande formée par les consorts D. Elle affirme que le souscripteur, en se réservant la désignation du bénéficiaire par voie testamentaire, et qu’à défaut ses héritiers seraient bénéficiaires, avait manifesté sa volonté de gratifier Madame B, en l’espèce. Ces éléments sont de nature à faire rentrer dans la succession le capital de l’assurance-vie.

Analyse

Concernant la décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, celle-ci est assez « surprenante » dans la mesure où elle fait un lien direct entre la forme de la désignation bénéficiaire (un testament) et l’intégration des capitaux décès dans la succession.

Rappelons que la désignation du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie n’est soumise à aucune condition de forme particulière. L’article L. 132-8 du code des assurances précise que  » cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, […] soit par voie testamentaire « .  La clause bénéficiaire peut même faire l’objet d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique (article L. 132-9-1 du code des assurances). Il suffit que la volonté du souscripteur soit exprimée, de préférence de façon claire et non ambiguë.

Le souscripteur est donc libre de choisir à la forme de la désignation bénéficiaire (RM Fromentin, JOAN 02 sept. 2014 n° 63362). Il doit simplement manifester sa volonté au moyen de cette clause, de façon certaine et non équivoque. En définitive, la clause bénéficiaire, quelle que soit sa forme, n’a qu’une utilité : désigner la (ou les) personne(s) qui a (ont) vocation à percevoir les capitaux décès. Elle n’a aucune conséquence sur un éventuel rapport à succession de ces capitaux décès…

Il appartient aux juges de rechercher la volonté réelle du souscripteur pour sa désignation et sur les éventuelles charges et conditions prévues.

Cette volonté est la seule chose qui importe. Il est alors possible que ce dernier souhaite rapporter à sa succession les capitaux décès. Ce serait le cas en l’absence de désignation du bénéficiaire ou lorsque la clause l’exprime clairement.

A défaut de volonté exprimée, on voit mal le fondement de la décision de la Cour d’appel.

Source: Fidroit