L’acquisition simultanée de droits démembrés ne permet pas à l’usufruitier de déduire la TVA portant sur la nue-propriété du bien.
Ce qu’il faut retenir
L’acquéreur de l’usufruit d’un bien peut bénéficier du transfert du droit à déduction de la TVA détenu par le vendeur.
Inversement, l’usufruitier qui cède la nue-propriété d’un bien peut poursuivre la déduction de la TVA sans avoir à régulariser la TVA qui a porté sur la nue-propriété.
En revanche, le transfert du droit à déduction entre nu-propriétaire et usufruitier n’est pas possible dans le cas d’une acquisition simultanée des droits démembrés.
Conséquences pratiques
Dans le cadre de l’optimisation de la détention d’un patrimoine immobilier, l’acquisition en démembrement par deux structures juridiques distinctes est un montage relativement fréquent.
Cette stratégie est notamment utilisée pour acquérir les biens immobiliers affectés à une activité professionnelle, une structure patrimoniale achetant la nue-propriété et une structure professionnelle l’usufruit. Elle est également usitée par les particuliers qui investissent dans des résidences de services sous le régime fiscal de la location meublée et qui souhaitent opérer un démembrement immédiat dans un objectif de transmission du patrimoine.
Toutefois, sa mise en œuvre engendre des difficultés pour déduire la totalité de la TVA lorsque la cession de l’immeuble y est soumise ou lorsqu’elle engendre une régularisation de la TVA avec transfert du droit à déduction à l’acquéreur.
Le conseil FIDROIT
Afin de pouvoir bénéficier du régime dérogatoire permettant la déduction de la TVA sur la totalité du prix de vente, deux stratégies alternatives pourront être envisagées :
La première résidera en la réalisation de l’opération en deux temps. L’acquisition du bien en pleine propriété par la structure exerçant l’activité professionnelle puis la cession de la nue-propriété à la structure patrimoniale permettra en effet la déductibilité de la TVA sur la totalité du prix de vente. Elle engendrera cependant un coût supplémentaire liée à la seconde mutation.
La seconde alternative consistera à faire porter le démembrement sur les parts sociales de la structure juridique, qui fera acquisition du bien en pleine propriété, plutôt que sur bien lui-même.
Pour aller plus loin
Contexte
Lorsqu’un immeuble construit, transformé ou acquis est immobilisé et a ouvert droit à déduction de la TVA, sa cession ultérieure est susceptible de donner lieu à une régularisation de la TVA liquidée lors de la livraison à soi-même ou supportée lors de l’acquisition dès lors que cette cession intervient dans le délai de régularisation actuellement fixé à 20 ans.
Toutefois, lorsque l’immeuble est cédé ou apporté entre deux assujettis pour lesquels ce bien constitue une immobilisation sans que la mutation soit soumise à la TVA, une procédure de transfert du droit à déduction est prévue. Dans ce cas, le bénéficiaire de la cession, de l’apport ou du transfert peut déduire une fraction du montant de taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé initialement le bien, à proportion du rapport entre le nombre d’années restant à courir, pour le cédant ou l’apporteur, jusqu’au terme de la période de régularisation et le nombre d’années total de celle-ci. A cette fin, le cédant ou l’apporteur délivre au bénéficiaire une attestation mentionnant le montant de la taxe qu’il est en droit de déduire.
L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 10 mars 2016 que nous commentons a trait aux conditions dans lesquelles le droit à déduction de la TVA peut être transféré dans le cas d’un démembrement des biens objets de la cession.
Faits et procédure
La SCI Marguerite a acquis de la société Cabinet C…et associés, moyennant la somme de 619 819 euros toutes taxes comprises, l’usufruit pour une durée de 15 ans d’un immeuble à usage de bureaux situé au 3 rue Marguerite Duras à Auch ;
Par le même acte, la SCI Duras acquérait, au prix de 294 107 euros toutes taxes comprises, la nue-propriété de cet immeuble ;
La SCI Marguerite, a obtenu un remboursement d’un crédit de TVA d’un montant de 151 051 euros, correspondant à la taxe ayant grevé l’acquisition tant de la nue-propriété que de l’usufruit de cet immeuble.
L’administration a considéré que la taxe ayant grevé l’acquisition de la nue-propriété de l’immeuble n’était pas déductible par la SCI Marguerite et a remis en cause le remboursement correspondant de 48 198 euros ;
La SCI Marguerite demande au tribunal administratif de Pau d’annuler le rappel de TVA notifié par l’administration en se fondant sur le paragraphe 166 de l’instruction administrative 3 A-9-10 publié au BOI du 30 décembre 2009.
Par jugement du 14 octobre 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
La SCI Marguerite interjette alors appel devant la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux.
Arrêt
La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux estime :
- D’une part que la situation de la SCI Marguerite n’entre pas dans les hypothèses prévues par l’article 210 de l’annexe II au Code général des impôts, permettant la déduction lorsque l’utilisateur n’est pas lui-même propriétaire du bien ;
- D’autre part que l’instruction administrative, qui est d’application stricte, prévoit une dérogation aux règles de régularisation que dans deux hypothèses clairement explicitées : une première situation dans laquelle le démembrement résulte de la cession de l’usufruit, et une seconde situation dans laquelle le propriétaire est amené à céder la nue-propriété en conservant l’usufruit pour continuer à exploiter le bien ;
Elle a donc jugé que c’est à bon droit que le tribunal administratif de Pau avait rejeté la demande de la SCI Marguerite au motif qu’elle ne pouvait bénéficier du transfert du droit à déduction de la TVA payée par la SCI Duras.
Analyse
Au terme d’une instruction administrative publié au BOI du 30 décembre 2009 et reprise dans le BOFiP, l’administration fiscale a précisé les règles particulières de régularisation de la TVA qu’elle entend appliquer notamment dans le cas d’un démembrement de propriété des biens ayant ouvert droit à déduction de TVA.
En principe, lorsque la propriété d’un immeuble donne lieu à un démembrement en raison de la cession à un tiers de l’usufruit ou de la nue-propriété, la nue-propriété doit être regardée comme n’étant pas affectée à une activité économique imposable. Cette situation est exclusive de l’exercice du droit à déduction de la TVA afférente à la valeur de ce droit.
L’administration prévoit une dérogation lorsque le droit réel constitue une immobilisation chez son propriétaire de même que l’usufruit pour son bénéficiaire, permettant dans certaines circonstances au nu-propriétaire de transmettre son droit à déduction dont il est privé au bénéfice de l’usufruitier dès lors que ce dernier utilise le bien pour des opérations ouvrant droit à déduction.
L’administration précise toutefois les circonstances de ce dispositif : il s’agit des démembrements faisant suite soit à la cession de l’usufruit, soit à la cession de la nue-propriété.
Dans la présente affaire jugée, les acquéreurs de droits démembrés souhaitaient se prévaloir de ces dispositions pour permettre à l’usufruitier de déduire la TVA portant sur la totalité du prix d’acquisition, y compris la TVA qui a porté sur la nue-propriété.
La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux fait une lecture stricte de la doctrine administrative et limite la possibilité d’application de la dérogation au seul cas de cession d’un droit démembré par le plein propriétaire.
Source : Fidroit