Ce qu’il faut retenir
L’usufruit d’un immeuble cédé à une société revêt un caractère viager lorsqu’il est constitué pour la durée de vie d’une personne physique.
Pour déterminer l’assiette des droits d’enregistrement applicables, il y a lieu de faire application de l’article 669, I du CGI qui fixe la valeur de l’usufruit en fonction de l’âge de la personne physique dont la durée de vie est prise comme référence.
Conséquences pratiques
L’usufruit cédé à une personne morale pourra notamment être qualifié de viager si la cession porte sur :
- un usufruit « préconstitué », par exemple à l’occasion d’une donation avec réserve d’usufruit ou d’une succession (usufruit du conjoint notamment) ;
- un usufruit directement constitué lors de la cession, s’il est établi « pour la durée de vie d’une personne physique ».
Dès lors que l’usufruit est qualifié de « viager », son évaluation tient compte de l’âge de la personne dont la durée de vie conditionne l’usufruit et non de l’application du taux de 23 % par tranche de 10 ans (CGI, art. 669, II). Cette méthode aboutit, dans la plupart des cas, à évaluer plus faiblement le droit d’usufruit.
La solution retenue par la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, rendue en matière de cession est transposable à d’autres formes de mutations opérées en faveur d’une personne morale comme un apport à titre pur et simple ou un apport « à titre onéreux ».
Plus généralement, elle a vocation à s’appliquer chaque fois que l’assiette de l’impôt est déterminée par référence au barème fiscal de l’article 669 du CGI : ce sera notamment le cas pour les droits de mutation à titre onéreux, les droits de mutation à titre gratuit, le droit de partage, l’impôt sur la fortune immobilière (lorsqu’il y a lieu de procéder à une répartition de l’assiette taxable en application de l’article 968 du CGI), ou encore en présence d’une clause bénéficiaire d’assurance-vie au profit d’un usufruitier personne morale.
Pour aller plus loin
Contexte
Durée de l’usufruit constitué au profit d’une personne morale
La durée de l’usufruit constitué au profit d’une personne morale est en principe encadrée par la limite de trente ans posée à l’article 619 du Code civil : « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers, ne dure que trente ans ».
Un arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 2007 a affirmé que cette disposition, d’ordre public, ne peut être écartée par conventions successives des parties.
La portée de la décision est toutefois restée incertaine. Si cette dernière a confirmé la possibilité de céder un usufruit préconstitué à une société sans lui faire perdre son caractère viager, aucune précision n’a été formulée sur le champ d’application de l’article 619 du Code civil.
Pour la majorité des auteurs, l’article 619 du Code civil étant fondé sur la prohibition des usufruits perpétuels, la limite trentenaire ne doit pas être appliquée si l’usufruit est constitué pour la durée de vie d’une personne physique. En d’autres termes, un usufruit viager pourrait se poursuivre au-delà de trente ans, y compris lorsque son titulaire est une personne morale.
Aucune précision n’étant par ailleurs formulée sur ce point, la question de la qualification d’un usufruit constitué en faveur d’une personne morale pour la durée de vie d’une personne physique restait également posée.
Conséquences fiscales de la qualification
La qualification de l’usufruit constitué au profit d’une personne morale emporte des conséquences en matière fiscale :
- Pour l’évaluation du droit d’usufruit par référence au barème de l’article 669 du CGI (notamment applicable en matière de droits d’enregistrement) ;
- Pour l’imposition du produit résultant de la cession ou de l’apport du droit d’usufruit :
- Si la nature « temporaire » est retenue, l’opération est imposable par dérogation dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache le bénéfice ou revenu procuré.
- A l’inverse « les cessions portant sur un usufruit viager cédé sans terme fixe, c’est-à-dire un usufruit dont la seule cause d’extinction est le décès de son titulaire, ne sont pas concernées par les dispositions du 5 de l’article 13 du CGI. Ces cessions restent donc soumises aux dispositions du CGI relatives à l’imposition des plus-values » .
Selon la documentation tirée du BOFiP l’usufruit « temporaire » est un usufruit à terme fixe, qui se distingue de l’usufruit viager.
Lorsque l’usufruit est cédé à une personne morale, il conviendrait de distinguer selon que l’usufruit transmis est préconstitué ou non.
Pour l’administration « l’usufruit consenti à une société constitue par principe un usufruit temporaire, la durée de cet usufruit ne pouvant excéder trente ans conformément aux dispositions de l’article 619 du Code Civil« .
A l’inverse, si l’usufruit est préconstitué sur la tête du cédant, la cession porte sur un usufruit viager et, à ce titre, n’entre pas dans le champ d’application des dispositions du 5 de l’article 13 du CGI, à moins que l’usufruit ne soit consenti pour une durée fixe.
Faits et procédure
Une société civile fiscalement transparente cède l’usufruit d’un immeuble à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés. L’acte stipule que l’usufruit prendra fin au décès du survivant des deux associés personnes physiques. La cession est réalisée moyennant un prix fixé en considération de la valeur économique de l’usufruit compte tenu de la rentabilité des immeubles et de l’espérance de vie des personnes physiques. Pour déterminer l’assiette des droits d’enregistrement, la société cessionnaire fait application du barème de l’article 669, I du CGI et estime l’usufruit à 40 % de la valeur de la pleine-propriété.
L’administration fiscale conteste la méthode de détermination de l’assiette des droits d’enregistrement considérant que l’article 669, I n’a vocation à s’appliquer qu’aux personnes physiques et qu’il convient ici d’appliquer l’article 683 du CGI (droits assis sur le prix stipulé dans l’acte).
Les juges donnent raison à l’administration fiscale en première instance.
Faisant appel de la décision, la société cessionnaire de l’usufruit considère que l’article 669, I du CGI est applicable aux cessions d’usufruit viager d’immeubles même entre personnes morales dans la mesure où le texte ne distingue pas selon que le cédant est une personne morale ou une personne physique.
La Cour d’appel de Paris, infirmant le jugement rendu le 15 mai 2013, qualifie de viager l’usufruit cédé à une personne morale pour la durée de vie d’une personne physique. Elle en tire ensuite les conséquences fiscales en matière de calcul de l’assiette des droits d’enregistrement et précise que l’article 669 I du CGI, qui ne distingue pas selon que le cédant est ou non une personne physique, doit trouver à s’appliquer. Par ailleurs, la Cour indique que, contrairement à ce que soutient l’Administration, « il ne saurait être déduit de l’article 619 du code civil qui prévoit que l’usufruit entre personnes morales ne dure que trente ans, que l’usufruit cédé en l’espèce doive être considéré comme d’une durée de trente ans. Le fait que cet usufruit doive s’éteindre au delà de cette durée n’a pour la question de l’espèce aucune portée ».
Cette dernière décision a par la suite fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation. L’Administration soutient à cette occasion que, bien que l’article 669, I du CGI soit applicable à toutes les mutations, celui-ci ferait une distinction selon que l’usufruitier est une personne physique ou morale. Le fait qu’il soit fait référence à l’âge de l’usufruitier impliquerait nécessairement, selon elle, qu’il s’agisse d’une personne physique. D’autre part, les dispositions de l’article 619 du Code civil, qui limitent à trente ans l’usufruit dont est titulaire une personne morale, permettraient de qualifier un tel droit « d’usufruit à durée fixe dont le terme est incertain ». Le fait d’établir l’usufruit sur la survivance d’une personne physique ne pourrait avoir pour effet, ni de prolonger le délai de trente ans, ni de qualifier l’usufruit de viager. En conséquence, il y aurait lieu d’appliquer l’article 669, II, selon lequel l’usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur en pleine propriété par période de dix ans.
Arrêt
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le directeur général des finances publiques : « Mais attendu qu’ayant relevé que l’article 669 du code général des impôts, que ce soit en son premier ou son second paragraphe, ne distingue pas entre personnes physiques et morales pour l’évaluation de l’usufruit, l’arrêt retient que l’application du paragraphe I n’est pas réservée aux cessions de droits démembrés entre personnes physiques ; qu’il en déduit exactement que la liquidation des droits d’enregistrement afférents à la cession intervenue entre les sociétés Placimmo et Les Lys est soumise aux dispositions de l’article 669 I du code général des impôts, dès lors que l’usufruit, qui n’est cédé que pour la durée de la survivance de M. ou de Mme Z… , est de nature viagère, peu important que cet usufruit entre personnes morales ne puisse excéder trente ans aux termes de l’article 619 du code civil ; que le moyen n’est pas fondé ».
Analyse
Qualification de l’usufruit constitué au profit d’une personne morale pour la durée de vie d’une personne physique
La Cour de cassation confirme l’analyse selon laquelle un usufruit constitué pour la durée de vie d’une personne physique, bien que cédé à une personne morale, a une nature viagère. Elle précise néanmoins pour la première fois qu’un tel usufruit peut être directement créé à l’occasion de la cession. Il n’a pas nécessairement à être « préconstitué ». La Haute juridiction contredit sur ce point l’analyse de l’Administration fiscale.
Durée de l’usufruit viager dont la personne morale est titulaire
Bien que l’article 619 du Code civil ne fasse pas obstacle à ce qu’un usufruit cédé à une personne morale soit qualifié de viager, la question de son champ d’application reste posée.
La Cour de cassation n’apporte, en effet, pas de précision particulière à ce sujet et rappelle simplement l’absence de portée de l’argument tiré du plafond de trente ans. Aussi, on restera particulièrement attentif aux circonstances dans lesquelles un usufruit viager est constitué au profit d’une personne morale. On pourra, selon les circonstances, apporter des précisions conventionnelles pour en préciser la limite.
Portée fiscale
Cette décision, portant au cas d’espèce sur les droits d’enregistrement, est susceptible d’être transposée pour l’application de l’article 13, 5, 1° du Code général des impôts. La qualification d’usufruit viager permettrait en effet de se placer hors du champ d’application de cette disposition et de voir l’opération être imposée selon les règles des plus-values. Une décision en la matière d’une juridiction administrative (ordre compétent en matière d’impôt sur le revenu), serait néanmoins souhaitable.
Source: Fidroit